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mise à jour le
11 avril 2007

historique

Réflexions



La création est un don de Dieu
par le patriarche œcuménique Bartholomée Ier
Cet article provient du Service Orthodoxe de Presse (SOP - http://www.orthodoxpress.com) qui nous a aimablement autorisé à le reproduire.


Allocution prononcée à la cérémonie de clôture du colloque international sur la protection de la mer Adriatique, qui s'est tenu du 5 au 10 juin dernier à Venise (SOP 270.2). Traduction française publiée, le 18 juin, à Rome, par L´Osservatore Romano.

Âgé aujourd'hui de 61 ans, BARTHOLOMEE Ier est, depuis octobre 1991, archevêque de Constantinople et patriarche œcuménique, et à ce titre primus inter pares ("premier entre les égaux") dans l'épiscopat orthodoxe (SOP 161.1 et 162.1). Très engagé dans le dialogue œcuménique et dans le dialogue interreligieux, il a également lancé plusieurs initiatives en faveur de la protection de l'environnement naturel, notamment à l'occasion de colloques qui ont été successivement consacrés à la protection de la mer Egée, en septembre 1995 (202.6), de la mer Noire, en septembre 1997 (SOP 222.3), et du Danube, en octobre 1999 (SOP 242.12).




Tandis que nous touchons au terme de notre 4e colloque sur la "Religion, la science et l'environnement", nous rendons grâce à Dieu pour les débats fructueux, ainsi que pour votre contribution inestimable. Nous rappellerons les paroles prophétiques de notre prédécesseur, le patriarche œcuménique Dimitrios Ier, dans sa lettre encyclique de 1989 : en exhortant les chrétiens à célébrer le 1er septembre comme jour de prière pour la protection de l'environnement, il soulignait le besoin pour nous tous de faire preuve d'"un esprit eucharistique et ascétique".


La création est un don de Dieu

Réfléchissons sur ces deux mots : "eucharistique" et "ascétique". Les implications du premier mot sont faciles à deviner. En appelant à un "esprit eucharistique", le patriarche Dimitrios nous rappelait que le monde créé n'est pas seulement en notre possession, mais qu'il s'agit d'un don - un don de Dieu le Créateur, un don de guérison, un don de merveille et de beauté - et que notre réponse appropriée, en recevant ce don, doit être de l'accepter avec gratitude et action de grâce. Cela est certainement le caractère qui nous distingue en tant qu'êtres humains : l'être humain n'est pas seulement un animal logique ou politique, mais avant tout un animal eucharistique, capable de gratitude et doté du pouvoir de rendre grâce à Dieu pour le don de la création. Les autres animaux expriment leur gratitude simplement en étant eux-mêmes, en vivant dans le monde de la façon instinctive qui leur est propre. Mais nous, êtres humains, possédons une conscience de nous-mêmes, et c'est pourquoi, de façon consciente et en vertu d'un choix délibéré, nous pouvons rendre grâce à Dieu avec une joie eucharistique. Sans cette action de grâce, nous ne sommes pas véritablement humains.

Mais qu'entendait le patriarche Dimitrios par le deuxième mot, "ascétique" ? Lorsque nous parlons d'ascétisme, nous pensons à des choses comme le jeûne, les veilles et les pratiques rigoureuses. C'est en effet une partie de ce que ce mot recouvre ; mais le terme d'askesis signifie bien plus que cela. Il signifie, en ce qui concerne l'environnement, que nous devons faire preuve de ce que la Philocalie et d'autres textes spirituels de l'Église orthodoxe appellent enkrateia, "la maîtrise de soi".

Cela signifie que nous devons nous limiter de façon volontaire dans notre consommation de nourriture et de ressources naturelles. Chacun de nous est appelé à faire une distinction cruciale entre ce que nous voulons et ce dont nous avons besoin. Ce n'est qu'à travers une telle abnégation, à travers notre disponibilité à nous priver parfois et à dire : "non" ou "assez", que nous redécouvrirons notre véritable place dans l'univers.

Le critère fondamental pour une éthique de l'environnement n'est ni individualiste, ni commercial. L'acquisition de biens matériels ne peut justifier le désir égoïste de contrôler les ressources naturelles du monde. L'avidité et l'avarice rendent le monde opaque, en transformant tout en poussière et en cendres. La générosité et le désintéressement rendent le monde transparent, en transformant tout en sacrement de communion plein d'amour - une communion des êtres humains entre eux, une communion des êtres humains avec Dieu.


Le besoin de sacrifice

Ce besoin d'un esprit ascétique peut être résumé en un seul mot clé : le sacrifice. Telle est exactement la dimension qui manque à notre éthique de l'environnement et à notre action écologique. Nous ne sommes tous que trop conscients de l'obstacle fondamental auquel nous devons faire face dans notre action en faveur de l'environnement, qui est précisément celui-ci : comment pouvons-nous passer de la théorie à l'action, des paroles aux actes? Nous ne manquons pas d'informations scientifiques et techniques sur la nature de la crise écologique actuelle. Nous savons non seulement quoi faire, mais également comment le faire. Pourtant, en dépit de toutes ces informations, on accomplit malheureusement peu de choses dans la pratique. Le chemin est long de la tête au cœur, et encore plus long du cœur aux mains.

Comment pouvons-nous franchir cet écart tragique entre la théorie et la pratique, entre les idées et la réalité ? Il n'existe qu'une seule façon : grâce à la dimension du sacrifice qui nous fait défaut. Nous pensons ici à un sacrifice qui n'est pas facile, mais coûteux : "Je ne veux pas offrir à Yahvé mon Dieu des holocaustes qui ne me coûtent rien" (2 Sam 24, 24). Il n'y aura de changements réels et concrets dans l'environnement que si nous sommes préparés à faire des sacrifices radicaux, difficiles et véritablement généreux. Si nous ne sacrifions rien, nous n'aurons rien. Inutile de dire qu'en ce qui concerne les nations et les personnes, il est exigé bien davantage des riches que des pauvres. Toutefois, tous sont appelés à sacrifier quelque chose au nom de leurs concitoyens.


Dimension spirituelle du sacrifice

Le sacrifice est avant tout une question spirituelle bien plus qu'économique. En parlant de sacrifice, nous parlons d'une question qui n'est pas technologique, mais éthique. En effet, l'éthique de l'environnement représente de façon spécifique un thème central de ce symposium. Nous parlons souvent de crise de l'environnement ; or la véritable crise réside non pas dans l'environnement, mais dans le cœur de l'homme. Le problème fondamental doit être recherché non pas à l'extérieur, mais à l'intérieur de nous-mêmes, non pas dans l'écosystème, mais dans notre façon de penser.

La cause originale de toutes nos difficultés réside dans l'égoïsme et dans le péché de l'homme. Ce qui est exigé de nous, ce ne sont pas de plus grandes compétences technologiques, mais un plus grand repentir, metanoia, dans le sens littéral du terme grec, qui signifie "conversion du cœur". La cause première de notre péché à l'égard de l'environnement réside dans notre égoïsme et dans l'ordre de valeurs erroné que nous avons reçu en héritage et que nous acceptons sans aucun sens critique. Nous avons besoin d'une nouvelle façon de réfléchir sur nous-mêmes, sur notre relation avec le monde et avec Dieu. Sans cette "conversion du cœur" révolutionnaire, tous nos projets de conservation, quelles que soient nos bonnes intentions, se révéleront inefficaces car nous ne nous occuperons que des symptômes, et non de leurs causes. Les interventions et les conférences peuvent aider à réveiller nos consciences, mais ce dont nous avons véritablement besoin, c'est d'un baptême de larmes.


Donner et recevoir la vie

Parler de sacrifice est démodé et même impopulaire dans le monde moderne. Mais si l'idée de sacrifice est impopulaire, c'est avant tout parce que de nombreuses personnes ont une idée erronée de ce que signifie véritablement le sacrifice. Elles imaginent que le sacrifice signifie une perte ou la mort ; elles voient le sacrifice comme quelque chose de sombre ou de triste. Sans doute est-ce parce que, à travers les siècles, des concepts religieux ont été utilisés pour introduire des distinctions entre ceux qui "ont" et ceux qui n'"ont pas", ainsi que pour justifier l'avarice, l'abus et l'arrogance.

Mais si nous considérons la façon dont le sacrifice était conçu dans l'Ancien Testament, nous voyons que les Hébreux avaient une conception totalement différente de sa signification. Pour eux, le sacrifice signifiait non pas la perte, mais le gain, non pas la mort, mais la vie. Le sacrifice était coûteux, mais ne conduisait pas à la perte, mais à l'accomplissement ; il représentait un changement non pas pour le pire, mais pour le meilleur. Par-dessus tout, pour les Hébreux, le sacrifice ne signifiait pas renoncer, mais simplement donner. Dans son essence fondamentale, le sacrifice est un don - une offrande volontaire rendue en culte par l'homme à Dieu.


La communion avec Dieu

Ainsi, dans l'Ancien Testament, bien que le sacrifice comportât souvent de tuer un animal, le but n'était pas de retirer, mais de donner la vie ; non pas la mort de l'animal, mais le don de la vie de l'animal à Dieu. À travers cette offrande sacrificielle, un lien était établi entre le fidèle humain et Dieu. Une fois accepté par Dieu, le don était consacré, devenant un instrument de communion entre lui et son peuple. Pour les Hébreux, les jeûnes, - et les sacrifices qui les accompagnaient - étaient "allégresse, joie, gais jours de fête" (Zc 8, 19).

Un élément essentiel de tout sacrifice est qu'il doit être spontané et volontaire. Ce qui nous est soutiré par la force et la violence, et contre notre volonté, n'est pas un sacrifice. Seul ce que nous offrons dans la liberté et dans l'amour est véritablement un sacrifice. Il n'y a pas de sacrifice sans amour. Lorsque nous abandonnons quelque chose contre notre gré, nous subissons une perte, mais lorsque nous offrons quelque chose volontairement, nous ne pouvons qu'y gagner.

Lorsque, le quarantième jour après la naissance du Christ, sa mère, la Vierge Marie, accompagnée de Joseph, se rendit au Temple et offrit son enfant à Dieu, son acte de sacrifice lui procura non pas de la peine, mais de la joie. Elle ne perdit pas son enfant, mais il devint sien comme jamais il n'aurait pu l'être autrement. Le Christ a proclamé ce mystère apparemment contradictoire lorsqu'il a enseigné : "Qui veut en effet sauver sa vie la perdra" (Mt 10, 39 et 16, 25). Lorsque nous sacrifions notre vie et que nous partageons notre richesse, nous gagnons la vie en abondance et nous enrichissons le monde entier. Telle est l'expérience de l'humanité par-delà les siècles : kenôsis signifie plèrôsis ; se dépouiller volontairement conduit à se réaliser.


Devenir les prêtres de la création

Nous devons appliquer tout cela à notre action en faveur de l'environnement. Il ne peut y avoir de salut pour le monde, d'espérance d'un avenir meilleur, sans la dimension du sacrifice qui nous fait défaut. Sans un sacrifice coûteux et intransigeant, nous ne pourrons jamais agir en tant que prêtres de la création afin de renverser la spirale de la dégradation de l'environnement.

Le chemin qui s'ouvre à nous, tandis que nous continuons notre voyage spirituel dans l'exploration écologique, est indiqué de façon frappante dans la cérémonie de la grande bénédiction des eaux, célébrée par l'Église orthodoxe le 6 janvier, fête de la Théophanie, lorsque nous commémorons le baptême du Christ dans le fleuve du Jourdain. La grande bénédiction commence par un hymne de louange à Dieu pour la beauté et l'harmonie de la création : "Tu es grand, ô Seigneur, et merveilleuses sont tes œuvres : aucun mot ne suffit à chanter les louanges de tes merveilles... Le soleil chante ta louange ; la lune te glorifie ; les étoiles t'élèvent leur supplique ; la lumière t'obéit ; les abîmes craignent ta présence ; les fontaines sont tes servantes ; tu as déployé les cieux comme un rideau ; tu as établi la terre sur les eaux ; tu as entouré la mer de sable ; tu as déversé l'air afin que les créatures humaines puissent respirer...". Puis, à la suite de cette doxologie qui embrasse tout le cosmos, arrive le point culminant de la cérémonie de bénédiction. Le célébrant prend une croix et la plonge dans un récipient d'eau (si la cérémonie a lieu à l'intérieur d'une église), ou dans le fleuve ou la mer (si la cérémonie a lieu à l'extérieur).

La croix est le symbole qui nous guide dans le sacrifice suprême auquel nous sommes appelés. Elle sanctifie les eaux et, à travers elles, transforme le monde entier. Qui peut oublier le symbole imposant de la croix dans la splendide mosaïque de la basilique de Saint-Apollinaire-in-Classe ? En célébrant la liturgie eucharistique à Ravenne, notre attention était fixée sur la Croix, qui se tenait au centre de notre vision céleste, au centre de la beauté naturelle qui l'entourait et au centre de notre célébration du ciel sur la terre. Tel est le modèle qui doit guider nos efforts en faveur de l'environnement. Tel est le fondement de toute éthique de l'environnement. La croix doit être plongée dans les eaux. La croix doit être au centre de notre vision. Sans la croix, sans le sacrifice, il ne peut y avoir de bénédiction, ni de transfiguration du cosmos.


Bartholomée Ier, archevêque de Constantinople et patriarche œcuménique



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