Pour une écologie chrétienne
dossier de Carrefours d´Alsace de mars 2006, le mensuel du diocèse de Strabourg
Le mensuel Carrefours d´Alsace du mois de mars 2006 comporte un dossier consacré à l'écologie chrétienne.
Ce numéro est disponible sur abonnement auprès de : Carrefours d'Alsace - Abonnements - 16 rue Brûlée - 67081 Strasbourg Cedex, ou directement sur http://www.alsacemedia.com.
Nous les remercions de nous avoir aimablement autorisé à le reproduire.
Les ressources naturelles s’amenuisent, des espèces végétales et animales disparaissent, le climat se réchauffe... Les grands équilibres de la Terre sont aujourd’hui menacés. Face à ce constat, quelle est la responsabilité des chrétiens ? Que dit la Bible sur l’écologie ?
L’écologie grandit dans les préoccupations politiques des pays industrialisés et questionne, comme tout fait de société, notre Eglise. Cette inquiétude est liée à la dégradation visible et sensible de la planète, la disparition de certains écosystèmes, le réchauffement climatique, le trou grandissant dans la couche d’ozone, l'augmentation des déchets, etc. La cause de certains effets climatiques est maintenant directement attribuée à ce non-respect de l’écologie.
Capital écologique
La crise écologique actuelle n’est pas le résultat d’un simple échec. Elle est plutôt la conséquence de l’effet pervers d’une trop grande réussite. Depuis la révolution industrielle du XIXe siècle, la population de la Terre s’est accrue à un rythme effréné pour atteindre aujourd’hui plus de 6 milliards d’individus. Le nombre et la taille des villes ont eux aussi explosé. Parallèlement, le niveau de consommation, surtout dans nos pays développés, a fortement augmenté, provoquant l’épuisement progressif des ressources renouvelables et non renouvelables de la planète. De nombreuses espèces végétales et animales sont en voie de disparition et les grands équilibres de la planète Terre sont désormais menacés. En outre, depuis peu, nous assistons au réveil économique de pays comme la Chine et l’Inde, contraignant Américains et Européens à composer avec eux et à réfléchir à une meilleure utilisation et un plus grand partage des ressources, en particulier le pétrole.
Nous empruntons actuellement un capital écologique aux générations à venir en sachant pertinemment que nous ne pourrons jamais le leur rembourser. Cette crise de l'environnement interroge notre technique ainsi que notre perception du monde et notre rôle au sein de la nature. Une mauvaise compréhension des récits bibliques de la création a fait de l’homme un maître dominant et orgueilleux de la nature, lui donnant la main mise sur elle. « Soyez féconds, multipliez, emplissez la Terre et soumettez-la ; dominez sur les poissons de la mer, les oiseaux du ciel et tous les animaux qui rampent sur la Terre. » (Gn 1, 28) ; « Yahveh prit l’homme et l’établit dans le jardin d’Eden pour le cultiver et le garder. » (Gn 2, 15).
Les récits de la Genèse affirment, d’une part, que Dieu est le maître de la création et qu’il n’y a pas d’autres dieux. Ils redonnent, d’autre part, confiance à l’être humain en l’aidant à se libérer de la soumission aux forces de la nature. Mais, tout en donnant une place centrale à l’homme, le récit de la Genèse est avant tout centré sur Dieu. À la question : Y a-t-il beaucoup de dieux ? Il répond : Il n’y a qu’un Dieu, le Seigneur. Tout ce qui existe en dehors de Dieu est une créature. Ainsi, la création vient d’une libre initiative de Dieu qui fait exister les choses par sa Parole. « Que la lumière soit et la lumière fut. » (Gn 13) Dans la création, Dieu fait de l’homme son interlocuteur privilégié, à son image et à sa ressemblance. L’être humain devient image de Dieu. Doté de la parole, il est capable de dialoguer avec Dieu. Il devient un véritable partenaire et partage ainsi le « pouvoir » divin sur les choses. Ainsi, l’homme (homme et femme), être de relation et de parole, en dialogue avec Dieu, vit une responsabilité à l’égard du monde. L’homme n’est pas tout-puissant, capable de le remodeler à sa guise. Il est en dialogue avec Dieu, devant gérer ce monde à la manière divine. La norme du récit de la Genèse n’est pas l’homme, mais Dieu. Ainsi, l’homme ressemble à Dieu quand il donne la vie et fait émerger la Parole. Il ne se situe pas comme un maître et un tyran de la nature, mais comme un intendant d’un monde confié et devant être gardé dans l’amour.
Biologie
Nous devons développer notre sentiment d’appartenance à la création. Différents des autres animaux par l’intelligence humaine, nous demeurons des êtres soumis aux contraintes de la biologie (l’alimentation, la reproduction et la mort). Ce caractère biologique nous impose des limites. Détruire la nature, c’est à long terme détruire notre propre vie. Nous ne pouvons donc dissocier notre différence du reste de la nature, de notre appartenance à la création. Notre corps est le résultat du long processus de la vie durant trois milliards et demie d’années ; la nature accumulant les informations et les transmettant à travers les âges. En ce sens, symboliquement, les plantes de la Terre, les poissons de la mer, les oiseaux du ciel, ce qui rampe et qui broute sont notre passé cosmique et biologique, nos frères et nos sœurs dans la grande communauté de la vie. Cette vision large de notre appartenance à la nature peut être accueillie et développée dans une spiritualité chrétienne.
Les récits de la Genèse, bien que valorisant la supériorité de l’homme, situent l’apparition de l’humanité dans une continuité avec le reste de la création. Dans la première semaine du monde, l’homme, seul doué de parole et devenant l’interlocuteur de Dieu, est créé au sixième jour comme les animaux vivant sur le sol. Cette parole divine créatrice donne vie à chaque étape de la création. Ainsi, on parle à la fois de notre continuité et de notre discontinuité avec la nature. Nous appartenons à une même création et nous sommes l’avant-garde d’une nature qui émerge peu à peu de sa stricte matérialité pour entrer dans le monde de l’Esprit. Notre corps porte ainsi la mémoire d’un monde qui vit depuis toujours au rythme de la Parole de Dieu et qui accède, par nous, à un destin nouveau, comme le souligne saint Paul : « La création jusqu'à ce jour gémit en travail d’enfantement, elle qui attend d’être libérée de la servitude de la corruption pour entrer dans la liberté de la gloire des enfants de Dieu. » (Rm 8, 22 et 21)
Dignité et respect
Maîtres du monde ? Oui. Un peu à la manière de Dieu. Non pour détruire mais pour développer, non pour la mort, mais pour la vie. Nous sommes aussi partenaires de la nature. L’espérance que s’accomplisse en nous la résurrection du Christ laisse entendre que la nature n’est ni une prison, ni une déchéance, mais notre demeure authentique jusqu’au moment de l’accomplissement final que Dieu décidera.
« Regardez les oiseaux du ciel, ils ne sèment ni ne moissonnent ou recueillent en des greniers, mais votre Père céleste les nourrit ! Ne valez-vous pas plus qu'eux ? » (Mt 6, 26) Ce plus des hommes aux yeux de Dieu ne signifie pas un moins pour les oiseaux du ciel et les lys des champs. Il traduit la dignité des uns et des autres dans l'amour du Père. C’est cette dignité et ce respect qu’il nous faut maintenant développer de façon sérieuse et urgente.
Philippe RAPP
Nous remercions Carrefours d´Alsace, le mensuel du diocèse de Strabourg, de nous avoir aimablement autorisé à reproduire cet article extrait de leur numéro de mars 2006.
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