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Réflexions
L'écologie et l'Église
par Yves Urvoy
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INTRODUCTION
Depuis ma cessation d’activité professionnelle en janvier 2O03, je m’investis
dans l’étude de la Crise Écologique, avec la conviction qu’à l’intérieur du grand
chambardement actuel, du basculement de civilisation qui caractérise notre époque, il y
a quelque chose d’inconcevable, inacceptable, absolument; il s’agit du fait de
l’implication humaine dans un changement climatique accéléré et que le
déclenchement de ce processus exige une mobilisation de tous.
Depuis 3 ans, il n’y a pas de jour qui passe sans qu’une nouvelle donnée ne
vienne confirmer le soupçon, accroître les inquiétudes, donner du poids au point
d’ancrage autour duquel vont se développer mes explorations et mes réflexions, comme
les branches d’un arbre touffu dont le tronc s’épaissit.
Il m’est apparu rapidement aussi qu’au-delà du besoin que je ressentais de
m’investir dans l’avenir de mes petits enfants, j’allais peut être mieux percevoir, et
participer à la mise en évidence des motifs de l’imperméabilité croissante de nos
sociétés dites développées au message chrétien.
La Nouvelle évangélisation impulsée par Jean Paul II peine à éclore, les
Eglises de France se vident pour la plupart, les vocations stagnent à un niveau d’étiage,
et en ne jugeant qu’aux apparences, le petit troupeau qui résiste n’est plus que le carré
héroïque du dernier retranchement.
Comment expliquer que la Bonne Nouvelle, qui connaît des succès médiatiques
ponctuels depuis Jean Paul II, ne puisse endiguer la cohue des enfants de la ville qui se
précipite derrière le joueur de flûte technologique, vers un engloutissement
irrémédiable. N’y a-t-il pas lieu de chercher tout d’abord le motif d’une situation aussi
grave, dans l’examen de conscience : il y a certainement quelque chose que les
chrétiens font, ou plutôt ne font pas, pour que le message ne passe plus : cet examen, à
l’échelle planétaire, ne doit-il pas aller au dela d’un acte de repentance à propos des
fautes des chrétiens passés, trépassés, mais d’examiner celles des chrétiens présents, de
nous-mêmes, et qui ont des conséquenses d’autant plus importantes que nous ne nous
amendons pas, que nous persévérons en nous coulant dans le lit de la « modernité »,
soucieux de bioéthique et de protection de la vie, certes, mais consommateurs touristes,
« comme tout le monde ». Un hebdomadaire Familial Chrétien titrait récemment sur
« la différence catho » en matière de modes de vie : que mettait-il en évidence ? rien
de vraiment tangible, et au contraire il montrait les chrétiens en bonne position, aux
deux bouts de la chaîne de la consommation : initiateurs des grands surfaces…
initiateurs de la banque alimentaire… c’est bouclé.
Les chrétiens sont donc étroitement impliqués dans la consommation, ce qui est
un des aspects essentiels de notre société technicienne, et c’est à cela que pensait
probablement le cardinal Barbarin, (la Croix du 11.05.2005), invité aux « rendez vous
de l’écologie » et plaidant pour la création il disait : « Les catholiques qui s’engagent
dans la gérance de la création doivent savoir que le combat écologique est plus
difficile que le combat social, car on s’y bat contre tous à commencer par soi même ».
C’est précisément cette démarche qui est celle du grand théologien Jurgen
Moltmann, qui s’exprime d’une manière totalement oecuménique, (en mettant
notamment en évidence ce qui revient à la tradition protestante dont il est issu) dans
son « Dieu dans la création, traité écologique de la création » : il souligne en effet en
préambule qu’il « ne commence pas ce traité par une recherche et une interprétation
de la foi judéo-chrétienne en la création, mais par une perception et une présentation
de la situation critique dans laquelle se trouve cette foi aujourd’hui, et dont elle est
elle-même en partie responsable ».
Il y a selon Moltmann interaction entre une certaine conception de la foi judéo
chrétienne et la crise écologique, et il est donc nécessaire de mesurer préalablement
l’étendue de cette crise, ainsi que les responsabilités possibles des chrétiens à son
égard. Son verdict est sans appel : « La situation actuelle se caractérise par la crise
écologique de l’ensemble de la civilisation technique et par l’épuisement de la nature
par l’homme. Cette crise est mortelle, non seulement pour les hommes, mais depuis
longtemps déjà pour les autres êtres vivants et pour l’environnement naturel. Si nous
n’allons pas vers un changement radical dans les orientations fondamentales des
sociétés humaines, si nous ne réussissons pas à modifier nos comportements vis-à-vis
des autres êtres vivants et de la nature, cette crise s’achèvera dans une catastrophe
universelle ».
« La crise écologique du monde moderne procède des états industriels
modernes. Ceux-ci sont nés dans une civilisation influencée par le Christianisme.
L’influence culturelle de la foi chrétienne en la création ne doit pas être négligée. Elle
renvoie une lumière particulière sur cette foi et exige de nous aujourd’hui la critique
des déviations reconnues et une compréhension nouvelle de la foi en la création à
partir des sources véritables… »
« Elle a plutôt son origine dans l’aspiration des hommes à la puissance et à la
surpuissance. Dans le cadre de la civilisation chrétienne, cette aspiration a été délivrée
de ses inhibitions religieuses antérieures et renforcée par une foi biblique en la
création mal comprise et pervertie « soumettez vous la terre » a été interprété comme
un commandement divin aux hommes, de dominer la nature, de conquérir le monde, et
d’exercer une souveraineté universelle. Par une aspiration illimitée à la puissance, les
hommes devaient devenir semblables à Dieu « le tout puissant » ; s’ils invoquaient sa
toute puissance, c’était pour justifier religieusement leur propre puissance; la foi
chrétienne en la création, telle qu’elle a été professé dans le christianisme de l’Eglise
occidentale européenne et américaine est loin d’être innocenté, dans la crise mondiale
actuelle ».
« Le Dieu dans la création » de Moltmann date de 1988, et déjà à cette époque
il avait constaté que « la civilisation scientifique est certainement pour la nature le
monstre le plus terrible qui jusqu’à présent soit apparu sur terre », et il en résumait les
conséquenses, « si connues actuellement », disait il à l’époque « qu’il est inutile de les
détailler » : « Partout ont surgi des processus de croissance incontrôlables :
croissance des populations, croissance industrielle, croissance de la menace contre
l’environnement, croissance de la dépense d’énergie, croissance de la submersion par
les excitants et de l’instabilité psychologique des hommes. Ces processus sont
interdépendants, et s’accélèrent mutuellement. Le « progrès » n’est plus une
expression de l’espoir comme au XIXe siècle, mais une fatalité à laquelle se sentent
condamnés les hommes dans les états industrialisés. La dépréciation des anciennes
nations civilisées en « nations sous développées » ou « pays en voie de
développement » ne montre plus que l’impérialisme stupide de cette idéologie du
progrès qui mesure tout à elle-même et ne fait qu’établir sa supériorité ».
Ce qui frappe, c’est l’adéquation à la réalité du constat atterrant que révèle cette
énumération faite il y a près de 20 ans, et qu’en outre, malgré une apparente prise de
conscience internationale, qui se manifeste en grande pompe dans de grandes
kermesses mondiales depuis 1972, à Stockholm puis La Haye en 1988, Rio de Janeiro
en 1992, Johannesburg en 2OO2, aucun pas vraiment significatif n’ait été effectué, et
que les objectifs très insuffisants de Kyoto n’ont aucune chance de se réaliser, en dépit
de leur modestie.
Et la position des chrétiens ? S’il n’y avait eu Jean Paul II, actualisant Léon
XIII, on serait amené à mettre la communauté catholique, tant au niveau de l’action que
de la réflexion, en dépôt de bilan par rapport à ces enjeux.
Ces paroles de Jean Paul II sur la question écologique, et comme il le dit, sur la
« formidable puissance technologique nouvelle », explicitent la notion de destination
universelle des biens, sur le fait que « nous disposons d’un DON, qui doit passer si
possible amélioré aux générations futures », mais elles ne sont pas suffisamment
confrontées à la réalité de la situation, pas poussées suffisamment dans toutes leurs
conséquenses logiques par le clergé et les chrétiens en général. C’est cet aspect
insuffisant, apathique, que je vais évoquer en mettant en évidence que le principe de
précaution, considéré non comme un aboutissement mais comme un point de départ
implique très concrètement un changement radical de nos modes de vie, pour ne pas
continuer, suivant l’expression éclairante de Jean Paul II, à « tyranniser » la nature.
Comme dit Milan Kundera, « la météo de notre condition est le brouillard », je
suis donc parti dans le brouillard, à la chasse aux idées fausses, aux fausses bonnes
idées, aux sophismes, à l’écologiquement correct, à l’idyllisme, au lénifiant, au
pontifiant , à l’incantatoire, à l’aveuglement, muni d’une escopette chargée d’un peu de
jugeotte, avec l’obstination du marcheur de grande randonnée ; j’avais les jalons posés
par le Saint Père, et aussi j’ai fait beaucoup de bonnes rencontres, on le verra au cours
d’un exposé très charpenté de citations, qui sont autant de trophées sur lesquels le petit
Nemrod que je suis pose un pied pour la photo, alors que la bête a été précisément déjà
mise à bas par un plus fin tireur, qu’il accompagnait sans trop s’en rendre compte.
En passant à la métaphore fluviale, sur le bateau de l’humanité, on peut
découvrir que certains soutiers, après avoir passé leur temps à explorer et entretenir,
une burette d’huile à la main, les rouages de la machine, ont perçu à l’écoute des sonars
qu’ils ont perfectionné, le grondement des chûtes qui se rapprochent : ils se sont
invités, sans qu’on leur demande rien, sur la passerelle, pour s’apercevoir que
l’inconscience règne. Et quand ils insinuent que le cap du bateau n’est pas le bon, les
galonnés répondent en clignant de l’oeil, une flûte de champagne à la main, « ça
marche », comme un slogan publicitaire. « La technique n’est pas le problème » dit
Georges Bush, « c’est la solution » ; en écho répond le compendium de l’Eglise
Catholique : « la technologie qui pollue peut aussi dépolluer » et aussi, entre autre
formule lénifiante : « il faudrait veiller à élever la sécurité de l’énergie nucléaire »…
Jacques Testard, biologiste, dans les « réflexions pour un monde vivable » qu’il
a publié pour recueillir les travaux de la commission française du développement
durable, commission qui s’est sabordée en raison de l’impuissance dans laquelle la
plaçait l’incurie des décideurs politiques, explique cette incurie, par « l’incapacité à
être intelligent jusqu’au bout du raisonnement, … jusqu’à la décision » ; il y a donc,
en même temps qu’un déficit de volonté, une sorte de démission intellectuelle qui tient
pour une large part, d’une manière centrale, à la croyance eschatologique en un
développement mythique, ainsi qu’en une sortie de crise grâce à la technique. De cette
manière, on est amené à une sorte de nouvelle « foi du charbonnier » ; on évite
d’éclairer la question, on s’abstient méthodiquement de confronter la notion de
développement, que l’on affuble de divers qualificatifs utopiques, avec la réalité de la
situation. On fuit la mise au pied du mur, qu’impliquent les données scientifiques,
rationnelles, à l’égard du changement climatique et de la question énergétique ; on ne
se donne ainsi aucune chance de pouvoir faire face au défi colossal qui s’impose à
l’humanité.
Au contraire, à cette espèce de crainte révérentielle à l’égard du « progrès », à
ce refus du constat, du « bénéfice d’inventaire », s’ajoute ce que Viviane Forrester
(l’Horreur Economique) dénonce comme le « chantage à la solution », consistant, vis-àvis
de l’insolent qui soulève des objections, « à répliquer : oui, oui… et qu’est-ce que
vous proposez ?… Rien … l’interlocuteur s’en doutait : sans solution, au moins
possible, le problème disparaît. Le poser serait irrationnel… » et elle ajoute : « le
chantage à la solution altère les problèmes, prévient toute lucidité, paralyse la
critique » et ainsi « pour le monde passionnant, grisant de l’utopie capitaliste
accomplie, c’est une époque bénie où aucune théorie, aucun groupe crédible, aucun
mode de pensée, aucune action sérieuse ne s’opposent plus à eux ».
Cette notion de l’impossibilité d’une action sérieuse caractérise ce qu’Hannah
Arendt évoque dans « les origines du totalitarisme », comme l’objectif des sophistes
modernes : « la différence la plus frappante entre les sophistes anciens et les sophistes
modernes est que les anciens se contentaient d’une victoire fugitive dans la discussion
au dépens de la vérité; les modernes veulent une victoire plus durable aux dépens de
la réalité. En d’autre termes, les premiers détruisent la dignité de la pensée humaine,
les autres détruisent la dignité de l’action humaine » et elle ajoute : « du fait de cette
manipulation des faits, l’histoire elle-même est détruite, et sa compréhension fondée
sur le fait qu’elle est l’oeuvre des hommes et peut être comprise par eux est menacée ».
De cette absence de réaction vis-à-vis de la réalité, considérée comme
outrecuidante, l’Église contemporaine n’est pas indemne. C’est-ce que je vais évoquer
préalablement, à propos du comportement des chrétiens et du clergé des pays
occidentaux, dans un premier développement.
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