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ÉCOLOGIE  CHRÉTIENNE
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saint François d'Assise : patron céleste des écologistes (Jean-Paul II en 1979)
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mise à jour le
11 avril 2007

historique

Réflexions



Église et écologie
par Alain Demairé, suivi par le Père J. J. Péré
CER IERP©, 1998


« Voici que dans l’espace nouveau, une troisième voie se découvre : Aller au Ciel à travers la terre » Teilhard de Chardin, Christologie et Évolution


Cabanac, le 09 Mars 1997


Ce matin le soleil brille. La température est douce pour la saison. Les bourgeons sont gonflés et par endroit les arbres déjà en fleur. Le printemps revient mais ce regain de vitalité se fait sur une terre sèche. Il n’a pas plu en février ni neigé sur la montagne. Dans ma tête les questions se bousculent et grondent d’une sourde inquiétude : effet de serre, désertification, culture et élevage intensifs, pollutions multiples... Je repense à cette algue brune qui en septembre 96 avait envahi les fonds marins de la côte catalane. Sera-t-elle encore là à Pâques ? Je revois le désert sous-marin de la baie de Cannes ou les tombants arides devant Saint-Raphaël. La crise écologique est bien là, piqûre mortelle d’une nature meurtrie par la société industrielle et technique.

La technologie humaine blesse l’environnement de l’Homme. Dans le même temps elle en mesure les effets et commence modestement à réparer certains dégâts. Faut-il opposer nécessairement la technologie fondée sur la raison et le milieu naturel dont nous sommes issus ? N’y a-t-il pas là un intolérable dualisme pour un chrétien ? Quelle est d’ailleurs la place de l’homme dans la biosphère ? Face à ces questions nombreuses et génératrices d’angoisse, face à la crise écologique que connaît la création existe-t-il une attitude chrétienne porteuse d’espérance ?

A cette question condensée une réponse forte doit être apportée sous forme d’un message pastoral clair. Le présent travail de réflexion et d’exploration des écrits existants visera à cerner les lignes du discours théologique et pratique de l’Église sur ce sujet. Cela nécessitera de dresser un constat sans concession ni catastrophisme de la crise actuelle puis à le soumettre à une lecture théologique rigoureuse. En avançant sur ces deux axes dans les traces de théologiens des perspectives pour une pastorale établissant l’homme dans la création devraient se dégager.



Énumérer la longue liste des conséquences négatives de l’activité humaine sur le milieu naturel n’est ni possible, ni souhaitable. Impossible car l’action de l’Homme qui est dans le monde a nécessairement pour conséquence de transformer le monde. Émettre un jugement de valeur ne peut se faire qu’en se plaçant dans le contexte historique des faits. Non souhaitable car à la lecture d’une longue énumération ne risquons nous pas le découragement ou l’affolement ? Deux exemples suffiront à montrer les bouleversements du milieu naturel par la main de l’homme, faits crus dénués de jugement de valeurs : l’augmentation du niveau des mers et l’effet de serre. Bien que mesurables à l’échelle planétaire ces phénomènes auront une conséquence sur tous. Leurs causes (d’ailleurs liées) sont à rechercher au niveau individuel et collectif.

L’augmentation du niveau des mers fut présenté dans les années 70-80 par la communauté scientifique comme une preuve irréfutable, si elle était avérée, du réchauffement climatique liée à l’activité humaine. Les données statistiques météorologiques pourtant significatives étaient jugées bien trop sujettes à des perturbations passagères qui en brouillent la lisibilté. Seule l’inertie thermique des océans du globe pouvait trancher. De nombreux et ambitieux programmes furent donc échafaudés, quelques uns virent le jour. A leur naissance nombreux étaient ceux qui attendaient déjà impatiemment le verdict suivant leurs tendances naturelles les optimistes et les pessimistes s’affrontaient. Aujourd’hui les premières données sont disponibles dans une indifférence quasi générale. A peine un entrefilet dans les quotidiens nationaux pour apprendre qu’il n’aura fallu que 24 mois au satellite Topex-Poséïdon pour poser le constat : montée du niveau moyen des mers à un rythme qui menace plusieurs millions d’individus d’ici cinquante ans. Un mètre en cinquante ans au rythme actuel et des côtes entières auront changé de topologie. Déplacements de population, déplacement de l’activité humaine, disparition de niches écologiques...

Le responsable est connu : l’effet de serre. Monstre protéiforme qui n’est pas uniquement (s’il l’est seulement) ce dérèglement météorologique qui fait des étés chauds torrides et des hivers rigoureux plus doux. Mais il est responsable de phénomènes brutaux : El Niño, la prolifération de la Caulerpa-Taxifolia en Méditerranée, la fonte des calottes glaciaires... Ici l’homme n’est plus à l’échelle du phénomène et pourtant il en est responsable par ses émissions de gaz carbonique entre autres. Chaque année 3,2 des 7 milliards de tonnes émises restent dans l’atmosphère. Elles proviennent à 80% des combustions d’énergies fossiles et à 20% de la déforestation. Les pays industrialisés sont à l’origine des 2/3 des émissions (source : Journal « le Monde »). Les sommets de la terre à Rio ou Kyoto le dénoncent. Que faire ? Constatant que les océans absorbaient annuellement 2 milliards de tonnes, les scientifiques tentent d’augmenter leur « réactivité ». Comment ? En augmentant la teneur en fer de l’Océan austral qui présente une légère déficience. Ainsi dès Septembre 1995 une expérience de fertilisation en fer d’une petite zone a été menée pour accélérer la pompe à CO2.

Cependant le message de la communauté scientifique reste clair face à ces bouleversements : « Pas question d’aller suggérer des expériences d’apprentis sorciers . Le message le plus fort que les scientifique puissent faire passer c’est de dire : réduisons nos émissions de gaz carbonique. En revanche comprendre comment marche la nature c’est tout à fait notre rôle ». Telle était la position très rassurante affiché par le responsable de la Navy chargé de cette expérience. Le journaliste rapportant les propos notait sournoisement « qu’aucune observation préalable sur la faune et la flore australes n’ont précédé cette expérience ». Sans polémiques dans le même quotidien un an après les analystes économiques prévoyaient plutôt une augmentation de 60% de la consommation des combustibles fossiles entre 1990 et 2020. Ce rapprochement donne la mesure du changement d’attitude considérable à opérer.



Opérer une quelconque conversion requiert toujours de connaître les fondements de la situation dont on veut sortir et d’identifier les ressorts qui vont permettre d’évoluer. Les exemples ci-dessus ont déjà esquissé la responsabilité humaine. Une analyse plus fine révèle comment la puissance technologique sur un désert spirituel (ou du moins un recul) peut s’avérer menaçante. A Bâle en 1989 le pasteur Emilio Castro constatait : « La science et la technologie moderne ont accru la qualité de vie , elles ont en même temps gravement affecté l’écosphère terrestre en menaçant sa capacité à soutenir la vie et en mettant la création de Dieu en grand danger ». Monseigneur Smolensk citait lui « l’orphelinat spirituel comme cause fondamentale de l’impasse dans laquelle s’est trouvée notre économie (NDR : russe) allié à une psychologie triomphaliste qui proclamait : Nous ne pouvons pas nous attendre à ce que la nature nous accorde des faveurs notre tâche est de les prendre ». En Europe occidentale, Edgar Morin relisant notre rapport à la nature constate lui aussi ce divorce entre spirituel et technologie. En remède dans son ouvrage Terre-Patrie il propose « un évangile de la perdition... qui consisterait à sauver la planète, à civiliser la terre, à accomplir l’unité humaine et à sauvegarder la diversité. Ce serait une religion des profondeurs, de sauvegarde, de libération et de fraternité, permettant d’habiter la terre, de l’aménager, de la cultiver, de devenir son copilote ». Cette proposition athée, évitant tout panthéisme, interpelle le chrétien. L’enjeu de la crise passe par le sacré et la religion puisque cette situation interpelle sur les fondements et la finalité des actions humaines dans le monde. La foi chrétienne peut-elle répondre à cet impératif espoir ?

Nul doute que renvoyé face à la création, interrogé sur son origine et sur la finitude du monde le chrétien doit d’abord s’interroger sans complaisance sur sa responsabilité puis sur la conversion qu’elle exige chez lui avant de proposer une espérance au monde. La réflexion est ici fondamentale. Mais la complexité de la situation, la multiplicité des facettes de la crise et la mort des grandes idéologies ne permettent pas de s’échouer sur l’écueil des narrations idéologiques. Elles plaident pour des propositions accessibles à tous.



Une analyse sans complaisance passe d’abord par un rapide éclairage de l’évolution philosophique dans nos rapports avec la nature.

Aux récits mythiques de la création du monde, les philosophes grecs vont opposer des concepts fondés sur leurs observations et sur leurs déductions. Thalès posera par ses observations les principes de la recherche objective mais n’osera pas se prononcer sur le rôle des divinités dans la naissance du monde. Pythagore après lui osera opposer matière et esprit, d’un côté il mettra le cosmos, monde de l’ordre et du divin d’où provient l’âme; de l’autre il posera la terre, monde impur et mortel, vouée au mépris. Dans ce schéma, le corps emprisonne l’âme et le combat de l’homme est de libérer celle-ci. Avec Aristote, l’idée d’un esprit innervant le monde et l’homme verra le jour. Cet esprit soutient tout dans l’univers. C’est dans ce contexte que se répand la pensée chrétienne. S’appuyant sur le texte de la Genèse 1, l’Européen désacralise la nature. Il tente de la maîtriser tout en maintenant avec elle une certaine harmonie. Au moyen-âge le cosmos devient objet de science. La nature créée par Dieu reste à soumettre à la puissance humaine. La Renaissance pose alors la pensée comme signe distinctif de l’homme. Elle rejette Dieu dans une sphère inaccessible, celle de la potentia absoluta. Ce double mouvement va accentuer le clivage amorcé entre l’homme et la nature. Descartes déclare ainsi dans le Discours de la méthode que le but des sciences est de faire de l’homme « le maître et le possesseur de la nature ». Les conceptions antispirituelles de la nature et antinaturelles de l’esprit se répandent dès lors. Le déclin de la religion au XVIIIème favorise le mouvement . Dieu n’habite plus la nature laissée à l’action de l’homme. Les progrès techniques accentuent dans ce contexte l’exploitation de la nature par l’homme. Le XIXème verra les philosophies de lutte chez Marx ou Engels réduire le rapport homme-nature au travail de l’un sur l’autre. La nature doit être soumise à l’homme sujet libre. Le « sentiment de la nature » des romantiques ou la préoccupation scientifique de connaissance méthodologique contribueront à reléguer la nature hors de la sphère concrète. Avec les sciences humaines de ce siècle l’homme se retrouve mis en situation. Le progrès technique lui permet de mesurer les effets de son action sur une nature qu’il croyait faite d’équilibres immuables. L’idée d’un respect de la nature émerge assise selon D. Bourdin sur « une indéniable prise de conscience des effets négatifs de l’exploitation tous azimuts de la nature et sur le recul d’un certain sens de l’humanité, dans son caractère total et unique, et dans sa dignité ». Luc Ferry constate lui aussi que l’émergence des idéologies de la nature est lié au recul du politique, du concept d’humanité et à une sacralisation de la nature. Ce retour de balancier ne souligne-t-il pas le caractère inaliénable du rapport homme-nature ? Ignorer la nature c’est mettre l’homme en danger, la sacraliser c’est tuer l’humain.



L’Église a pu épouser ce schéma de pensée pour livrer son message. Faut-il adhérer au jugement sévère porté par Eugen Dreuwermann dans Le progrès meurtrier en 1980 : « Le rôle principal de cette évolution... revient à l’attitude spirituelle européenne ». Quelle part de responsabilité mais aussi quel espoir l’Église porte-t-elle face à cette crise ? De « Gaudium et Spes » au colloque de Novgorrod en passant par le rassemblement œcuménique de Bâle les chrétiens esquissent-ils une réponse originale fondée sur un Dieu Créateur et Sauveur ?

Dans le soucis d’une réponse chrétienne il est nécessaire de revenir aux textes de la foi et notamment aux récits biblique de la Création. La lecture de ces textes reste bien souvent biaisée quand elle n’est pas prise au pied de la lettre. De là persiste un certain nombre de préjugés. « L’Église catholique se rallie enfin à la théorie de Darwin. Après Pie XII et le concile, le pape Jean-Paul II reconnaît le bien fondé des espèces par la sélection naturelle. Mais sous condition. Il écarte les philosophies matérialistes et réductionnistes des origines de l’homme ». Le titre et le sous-titre du Monde sur le discours papal devant l’Académie Pontificale des sciences résume à eux seuls la difficulté de la tâche. Parler chrétiennement du rapport homme-nature réclame beaucoup de précautions notamment quant à la portée véridique ce discours. Ni historique, ni scientifique, il se veut vrai dans l’essence de ce qu’il décrit. Les travaux de C. Darwin ne peuvent que se heurter à une lecture littérale des textes de la Genèse. Face aux preuve scientifiques, l’adhésion à une vision chrétienne demande une méditation et une étude des récits bibliques. A ce stade opposer les étonnements de la science face à la complexité du vivant pour répondre au tenant du hasard génétique (Monod) et de l’implacable sélection naturelle n’aboutirait qu’à une peu souhaitable sacralisation de la Nature.

L’examen des récits de la Création devra éviter ces écueils. Dans le second de tradition Yahviste l’homme bien lié à la terre par son nom d’Adam est invité par Dieu à nommer chacun des animaux en sa présence. En nommant l’homme devient responsable devant Dieu de la création. Il n’en est pas séparé mais par cette démarche est plutôt une invitation à la connaissance. L’homme y apparaît bien proche de la terre puisqu’il est créé à partir de terre et d’eau. Par contre son lien avec le créateur est fort puisqu’il reçoit la vie par le souffle divin. Placé au milieu du jardin d’Eden pour veiller il reçoit la mission de « le cultiver et le garder ». Hors de sa portée la connaissance du bien et du mal, l’homme n’est pas l’égal de Dieu. Il a plutôt un statut de gérant. Pas de déséquilibre à introduire mais une harmonie à préserver pour permettre la culture. Les écoles hébraïques ont révélé que les textes de tradition Yahviste visent à montrer le sens religieux de l’apparition de l’homme. Ils montrent aussi comment se réalise la promesse de Dieu aux patriarches. Avec cet éclairage le rôle de l’homme devient clairement la gérance de la création. Lourde responsabilité qui n’en fait pas pour autant l’égal de Dieu. Comment ici ne pas évoquer le parallèle entre la présentation des animaux et celle de la terre promise à Moïse. L’harmonie et l’abondance de toute la création voilà ce à quoi l’homme doit tendre. Comme une terre promise (la scène ne se déroule-t-elle pas au jardin d’Eden ?).

L’autre récit ouvre la Bible. D’époque sacerdotale, il est plus riche en symboles. Il affirme l’identité du peuple exilé. La construction de l’univers s’ordonne pour aboutir à l’homme avant de s’achever dans le Sabbat. Quel que soit l’endroit vers lequel se tourne le regard il rencontre l’œuvre divine. La vie est donnée en abondance, signe de confiance en Dieu. L’ordre de multiplication est un encouragement à aller vers l’avenir. Cet ordre reçu par les poissons et les oiseaux n’est pas explicitement donné aux bêtes sauvages, menaces pour l’homme et aux bestiaux (le peuple exilé n’en possède plus). Pour l’homme il est répété. L’homme est invité à regarder l’avenir avec confiance par Dieu, apparaît en dernier. Il est créé « à l’image de Dieu comme sa ressemblance ». Autonome, capable de création (« créé créateur » selon P. Varillon dans La joie de croire), l’homme reçoit sa liberté de son créateur. Pour un peuple exilé cette affirmation est nécessaire. Aujourd’hui, elle reste marque de confiance. Un devoir accompagne cette position privilégiée : « soumettre la terre et dominer sur les animaux ». Une vision trop anthropocentrique et patriarcale y verra l’absolue évidence que l’homme doit s’opposer à la nature. L’impasse d’une telle pensée vient d’être dite. « Soumettre » ou « mettre sous l’action de »... Servage de la création à l’homme ou appel à l’homme pour lui dire que son champ d’action c’est la création dont il répondra ? La création ne s’achève que le septième jour, comme le remarque J. Moltmann dans Dieu dans la création. Le seigneur contemple son œuvre champ d’action de l’homme. Quelle preuve d’amour mais aussi quelle responsabilité ! « Dominer » n’est-ce pas étymologiquement se comporter en maître de la maison ? Chacun comprend que si tout est possible au maître son devoir est plutôt de faire régner l’ordre dans la maison pour que chacun y soit en sécurité. Cette image du maître revient dans le nouveau testament sous les traits du bon pasteur, « les brebis le suivent car elles connaissent sa voix » (Jn 10, 4). L’homme n’a pas pour mission de se faire craindre mais bien d’emmener la création vers le Sabbat. L’ambiguïté pouvant subsister il est bien précisé dans le récit que L’homme n’est pas l’égal de Dieu. Son pouvoir il le tient du Créateur afin de se tourner vers Lui totalement libre dans un geste d’amour et non de servitude rémanente.

Ainsi à deux époques différentes, avec des styles très différents les deux récits de la création disent au lecteur attentif la même chose de Dieu, de l’homme et de la création. La conception anthropocentrique sort affaiblie d’une telle lecture. La création débute sans l’homme sur un mystère et s’achève sur un non-dit, échappant ainsi à l’homme. Reste le Créateur présent aux origines et à la fin. Mais leur vision très ordonnée, surtout dans la tradition sacerdotale, est à nuancer. L’homme ne doit pas se contenter de gérer un bien qu’il présente à Dieu. Il est invité à contempler ce bien pour y trouver l’amour de Dieu, la marque de Sa perfection et de Sa sagesse. Saint Luc rapporte l’invitation du Christ à la contemplation de l’œuvre divine dans la nature (Lc 12, 28) afin de dépasser le seul besoin de la subsistance et découvrir la bonté du Père. Pierre Teilhard de Chardin , bouleversé par l’émergence de la puissance technologique et l’accumulation des connaissances scientifiques, a réexprimé ce nécessaire enracinement dans sa Messe sur le monde : « Comme le païen j’adore un Dieu palpable. Je le touche même ce Dieu, par toute la surface et la profondeur du Monde où je suis pris ». Jeter sur la nature un regard chrétien permet de revenir à Dieu. « Celui qui aimera passionnément Jésus caché dans les forces qui font grandir la terre, la terre, maternellement, le soulèvera dans ses bras géants et elle lui fera contempler le visage de Dieu. » affirme le père Teilhard de Chardin un peu plus loin. La relation ici décrite est clairement de l’ordre de l’amour qui permet la croissance, relation complexe et fondamentale comme nous l’a révélé la psychologie moderne, très loin des mythes païens et des rapports de force. Lorsque Dieu en Jésus prend lui-même place au sein de la création, l’argument mécaniste tombe à son tour. Il n’est pas non plus question d’uniquement entretenir ou d’admirer une mécanique conçue par un habile ingénieur. Il faut l’habiter et s’en servir. J. Moltmann remarque combien cette incarnation signifie la relation complexe immanente et transcendante entre Yahvé et son œuvre. Le don de l’Esprit la Pentecôte, esprit qui est dans le texte de la Genèse le « souffle de vie », est bien la marque qu’au delà du Christ le créateur continue de nous habiter comme il habite le Monde. Ceci conduit le même théologien allemand à constater : « tout est éternellement apparenté de l’intérieur ». Saint François d’Assise n’avait-il pas déjà cette intuition quand dans son cantique des créatures rendant grâce pour les astres et les quatre éléments mythiques vitaux, il reconnaît la présence de son Seigneur également dans la souffrance pour sauver l’homme. Ainsi se retrouve une invitation à trouver un Dieu d’amour immanent et transcendant, créateur présent en sa création qu’il habite par son Esprit. L’attitude prônée par Saint François fait alors sans surprise écho à celle des textes bibliques : « Louez et bénissez mon Seigneur. Rendez-lui grâce et servez le en grande humilité ».



Ce double éclairage humaniste et théologique doit pousser le chrétien à l’action face au danger que représente l’utilisation incontrôlée de la technologie. Comment armé de la science et de la technologie le chrétien peut-il servir humblement le Seigneur dans l’exercice de sa responsabilité face à la Création ? Ici une réflexion éthique nouvelle doit se dessiner afin de répondre. Cette nécessité d’une éthique de la nature a été énoncée par Hans Jonas dans Le principe de responsabilité. La téléologie première en est, rappelle-t-il la production de la vie. Dans cette perspective l’idée de progrès dans des idéologies capitalistes ou communistes peut alors enfermer l’homme dans la piège de la technologie.

Cette éthique est nouvelle par ses trois aspects : contraintes, devoirs et finalité. Les contraintes prises en compte étaient inconnues aux générations précédentes : finitude des ressources, fragilité des équilibres naturels, développement pour toute l’humanité... La déontologie de cette éthique sort elle aussi du cadre anthropocentrique et rationaliste en suivant la proposition d’un « nouveau théocentrisme » de J. Moltmann. Soumettre et dominer pour une présentation au créateur. La téléologie de cette éthique est bien la présentation au créateur. Saint Jean dans l’apocalypse l’indique : « Désormais la victoire et la royauté sont acquises à notre Dieu et la domination à son Christ ». Le père Teilhard de Chardin l’a formulée ainsi : « Si invraisemblable que cette proposition, l’univers ne peut être pensé en pleine cohérence avec les exigences de l’anthropogenèse sans prendre la forme d’un milieu psychique convergent. Il s’achève nécessairement vers l’avant en quelque pôle de superconscience où se survivent et « super-vivent » tous les grains personnalisés de conscience. Il culmine en point Oméga... Christ Oméga animateur et collecteur de toutes les énergies biologiques et spirituelles élaborées par l’univers » (in Messe sur le Monde). La proposition des deux théologiens ne constitue pas un retour vers la pensée théocentrique telle qu’elle a été formulée chez Saint Augustin. L’apport des sciences humaines leur a montré l’extrême complexité des rapports sociaux et naturels. C’est pourquoi leur proposition souligne le rôle fondamental de l’Esprit. J. Moltmann dans les annexes de son ouvrage (op. cit.) constate ainsi que « dans les images messianiques et les symboles eschatologiques on ne trouve plus de patriarcat, ni non plus de matriarcat. C’est un royaume de l’Enfant ». Le don messianique de l’Esprit fonde cette nouvelle vision du monde et « il invite à bâtir sur ce concept une vision écologique du monde qui fait davantage justice au caractère naturel de ce monde humain ». L’emploi du mot nature n’est pas ici totalement neutre puisqu’étymologiquement celui-ci signifie « à naître ».

S’il est possible de définir une éthique écologique chrétienne, il reste à définir des modalités d’application à celle-ci. Bien entendu la diversité des situations renvoie chacun à sa créativité. Luc Ferry a analysé l’attitude idéologique des mouvements écologiques dans son livre le nouvel ordre écologique : écologie environnementaliste qui vise la protection de l’être humain à travers celle de la nature et dont il souligne l’incapacité à réguler la technologie ; écologie profonde qui revendiquant un droit de la Nature vise à sauver l’écosystème porteuse à ses yeux d’une contradiction fondamentale opposant l’homme juge de la nature et l’homme exclu de cette même nature ; écologie utilitariste qui recherchant l’augmentation de la quantité de bien-être de tous les vivants arrive à en oublier les dimension humaines de raison et liberté.

Énoncer des principes généraux d’action est donc assurément un exercice périlleux. Cependant se déplacer sur ce terrain de la réalité est une nécessité. Teilhard de Chardin a énoncé cette nécessité face aux bouleversements du monde. C’est un enjeu essentiel pour l’Église. Le négliger c’est s’acheminer vers la rupture avec l’humanité. « Il me paraît essentiel que les perspectives chrétiennes puissent être présentées enfin sous forme organisée, cohérente avec le monde moderne. Comment sans cela équilibrer la puissance des solutions communistes ou fascistes de la terre ? ... Trop de gens dans l’Église conservent le secret espoir que le XIXème siècle sera effacé et que nous retrouverons bientôt à la bonne époque d’avant la Science et la Révolution. Que cet esprit prévale et ce serait le désastre final, le schisme consommé avec l’humanité. » Internet, navette spatiale, mondialisation et désastres écologiques irréversibles sont apparus depuis ces propos. Point de retour en arrière possible. Gaudium et Spes l’a souligné : « L’Église enseigne ... que l’espérance eschatologique ne diminue pas l’importance des tâches terrestres, mais en soutient plutôt l’accompagnement par de nouveaux motifs ».

Les propositions de Moltmann (qui ne sont pas sans rappeler dans une perspective chrétienne quelques propositions de Nietszche) semblent échapper aux catégories définies par L. Ferry. L’homme est bien invité à prendre conscience de sa place dans la création et à mettre son intelligence au service de celle-ci toute entière (donc de lui-même) dans une perspective eschatologique. René Coste dans Dieu et Écologie remarque que « c’est l’accomplissement de notre gérance de la création qui est la marque de notre amour pour le Dieu créateur et rédempteur... L’injustice et la violence à l’égard du prochain sont une dénaturation de la mission de gérance de la création qui nous incombe , tandis que l’authentique charité - dont nous rappellerons qu’elle est l’essence de l’éthique et de la spiritubalité évangélique - en est l’accomplissement ». Ainsi le commandement d’amour, le premier de tous, est-il proposé spontanément comme le plus fiable des guides.

C’est dans cet esprit qu’ont été établies les propositions concrètes du document final de l’assemblée de Bâle qui le 20 Mai 1989 proclamait : « Aujourd’hui la conversion à Dieu signifie s’engager à surmonter :
- les divisions entre l’humanité et la création dans son ensemble
- la domination des êtres humains sur la nature
- les styles de vie et les moyens de production qui violent la nature
- un individualisme qui viole l’intégrité de la création pour satisfaire des intérêts privés »
.
Force est de constater que l’Europe, les États-Unis et la Russie font figure d’accusés à raison aux yeux du reste du monde. Oubliant les impératifs de la dignité humaine, de liberté et justice sociale, s’abandonnant à l’expansion coloniale et l’exploitation économique ces pays sont accusés par le document « d’irresponsabilité écologique ». Les remèdes se trouvent dans le verdict. Leur application requiert une mobilisation de toutes nos énergies et une prise de conscience collective auxquels le chrétien doit oeuvrer, convaincu qu’il est de sa responsabilité et fort de la présence de l’Esprit. Ces pays doivent désormais réfléchir au développement durable de l’ensemble des peuples. Réduire leur consommation de combustibles fossiles mais aussi, se tournant vers l’avenir, aider les pays du Sud à choisir des infrastructures lourdes les moins polluantes possibles pour leur développement.

Comment dans le petit matin brumeux d’un hiver toulousain appliquer ces principes généraux ? Couper eau et électricité dès qu’inutile, se déplacer en transport en commun ou à vélo, trier verres, cartons et épluchures de légumes avant la poubelle, avoir une attitude de consommateur réfléchie (importance de l’emballage, contenu du produit, provenance), prendre un peu plus de peine à l’entretien du jardin... Quelques pistes prosaïquement posées pour susciter l’imagination. Utopie vitale au mouvement de nos sociétés qui se retrouve dans les propos du professeur russe Youli Schreider en 1995 lors du colloque des églises européennes à Novgorrod : « l’homme n’est pas le propriétaire souverain de la nature mais un détenteur qui a de sérieuses obligations d’affermage envers l’unique Possesseur de ces richesses. Ce sont ces obligations qui constituent, dans l’absolu et d’une manière surnaturelle, l’assise de nos devoirs envers l’environnement... En tant que locataires nous avons non seulement le droit mais l’obligation de contribuer au confort de l’habitation . ... Finalement, nos relations avec la nature dépendent de notre capacité à l’aimer. À l’aimer non pour sa beauté, ni parce qu’elle nous est nécessaire, mais parce qu’elle a besoin de nous... La force de l’amour qui agît grâce à la volonté libre de l’homme et de la raison ». Notre responsabilité vis à vis des générations futures doit être rappelée. Elle constitue le moteur le plus puissant. Elle se traduit dans déjà dans des lois qui ne seront efficaces que si le regard confiant vers l’avenir s’accompagne des enseignements tirés du passé.

Le chrétien découvre donc l’homme gérant de la création. Cette mission a des conséquences multiples clairement exprimées dans la constitution pastorale « Gaudium et Spes » qui affirme (ch 34 §1) : « L’homme , créé à l’image de Dieu, a en effet reçu la mission de soumettre [sibi subiciens] la terre et tout ce qu’elle contient, de gouverner le cosmos en sainteté et justice et, en reconnaissant Dieu comme Créateur de toutes choses, de lui référer son être ainsi que l’univers ». Gouverner en sainteté et justice, des missions royales par excellence. Les textes de l’ancien testament le définissent bien et rappellent sans cesse que le seul Roi est le Dieu Créateur et Sauveur. Le Concile dans un soucis pratique renvoie alors chacun à son humble quotidien : « Cet enseignement vaut aussi pour les activités les plus quotidiennes » (Gaudium et Spes Ch34 §2). Libre par la volonté du Créateur, l’être humain doit user de son intelligence et de sa liberté pour apporter son amour à l’ensemble de la création. La démarche n’est pas aisée et la tâche loin de se simplifier s’alourdit. Mais la réflexion sur la soumission a progressé depuis le concile. L’utilisation du réflectif (sibi subiciens) a été expliqué dans une vision non anthropocentrique et la foi en une amélioration des conditions de vie par le seul apport technologique a décliné. Le découragement n’est pas de mise pour le chrétien, à qui sa communion avec le sacré et la nature est sacrement selon les termes mêmes de Lumen Gentium (ch 38 §2) « Le seigneur a laissé aux siens les arrhes de cette espérance pour la route : le sacrement de foi, dans lequel des éléments de la nature, cultivés par l’homme, sont changés en Son Corps et en Son Sang glorieux. C’est le repas de la communion fraternelle, une anticipation du banquet céleste ».

Outre l’atteinte directe à l’environnement de nombreux sujets sont à aborder pour apporter une réponse cohérente sur les rapports Homme-Nature. Il est nécessaire de les développer à leur tour les questions de surpopulation et de finitude des ressources, l’égalité des développements entre pays riches et pauvres, les limitations à apporter à la technologie, à la science Marie-Joseph Nicolas appelle à cette réflexion dans Évolution et Christianisme (p 219): « ... l’homme est assez libre pour qu’il puisse résister à la voix de l’intérêt, choisir les valeurs dominantes auxquelles il subordonnera sa volonté de jouissance et de puissance ». Dans ces domaines des propositions chrétiennes ont été formulées. Il convient de les mettre en œuvre dans le même soucis eschatologique qui guide notre comportement envers la Création. En écho à l’appel d’une mobilisation il est remarquable de constater un déplacement des intérêts décisionnels. Ainsi en préparation du sommet de Kyoto et en réponse à l’attitude intransigeante américaine sur la réduction des émissions de gaz à effet de serre (les USA proposant de revenir aux niveaux de 1990 en 2020), les européens (qui ont un objectif de réduction de 15%) proposent de mettre en œuvre leur programme même en cas d’échec des négociations. Dans une vision eschatologique, le chrétien doit précéder et accompagner cette indispensable conversion car « ...tous ces fruits excellents de notre nature et de notre industrie, que nous aurons propagés sur terre selon le commandement du Seigneur et dans son Esprit, nous les retrouverons plus tard, mais purifiés de toute souillure, illuminés, transfigurés, lorsque le Christ remettra à son Père « un royaume éternel et universel... » » (Gaudium et Spes ch39 §3).



Bibliographie



René Coste « Paix, Justice , Gérance de la Création » Nouvelle Cité
Jean-Paul II « Lettre encyclique centesimus annus » Cerf
Colloque Novgorrod « Face à la Création, la responsabilité de l’homme » NAME/ACCE
C. Montenat L. Plateaux P. Roux « Pour lire la Création dans l’évolution » Cerf
R. Coste « Dieu et l’Écologie » Les éditions de l’atelier
Masses Ouvrières « Écologies » Nov-Dec 93 Les éditions de l’atelier
G. Dardé « Le dessein de Dieu sur le Cosmos : Comment l’homme est-il appelé à y collaborer » Mémoire IERP Nov 92
E. Drewermann « Le Progrès meurtrier » Stock
J. Moltmann « Dieu dans la Création » Cogitatio Fidei, Cerf
L. Ferry « Le nouvel ordre écologique » Le livre de poche
Teilhard de Chardin « L’avenir de l’homme » Seuil
Teilhard de Chardin « Messe sur le monde » Seuil
JC. Cabanis « De l’écologie à la sauvegarde de la Création » et « L’idéologie de l’écologisme » Travaux de maîtrise de théologie, Toulouse
Doc. Catholique Dossier Paix et Justice N°1989
Vatican « Concile Oecuménique Vatican II » Éditions du Centurion
MJ Nicolas « Évolution et Christianisme » Fayard





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